Inauguré le 06 mai 1995 à Coquelles (Pas de Calais) par le président français de l’époque, François Mitterrand, et la reine d’Angleterre d’hier et d’aujourd’hui, Elizabeth II, le tunnel sous la manche, d’une longueur d’environ 50 km dont 37 sous la mer, est devenu en 20 ans un maillon incontournable de la mobilité européenne.
En effet, depuis sa mise en fonction, ce sont près de 320 millions de voyageurs qui l’ont emprunté.
Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance.
Imaginé dès l’antiquité, les premiers calculs réalistes pour la construction d’un tunnel remontent à Napoléon 1er en 1802, et étaient le fait d’un ingénieur français du nom d’Albert Mathieu-Favier. Seulement, avec le retour de la guerre entre la France et l’Angleterre, l’idée est purement et simplement abandonnée. Elle reviendra avec les débuts du chemin de fer, et un projet finalisé en 1850 par cette fois-ci Aimé Thomé de Gamond, ressemblant fort à l’actuel, avec deux galeries parallèles pour la circulation, et une troisième pour le service. Les travaux commencèrent en 1880, financé par la famille Rothschild, et furent placé sous les auspices de Napoléon III et du prince Albert, époux de la reine Victoria. Mais, en raison d’un avis négatif de l’amirauté anglaise et du ministère du commerce, car jugé dangereux pour l’intégrité du pays, les travaux furent arrêtés. Ils ne reprirent que soixante-dix ans plus tard. L’argument stratégique fut quant à lui levé en 1955.
Le projet est donc relancé dans les années 60 sous l’égide cette fois-ci du groupe Suez, et on recommence à creuser car les galeries précédentes furent murées. Seulement voilà, le choc pétrolier de 1973 passant par-là, les travaux furent à nouveaux arrêtés. C’est donc durant les règnes assez longs de François Mitterrand et de Margareth Thatcher, premier ministre de l’époque, que le projet, maintes fois stoppé, fut de nouveau mis sur de bons rails.
Le chantier, enfin lancé, durera 6 ans et demi, et coûtera plus de 100 milliards de francs de l’époque (15 milliards d’Euros). Soucieux de ne pas débourser l’argent des contribuables britanniques, le gouvernement de sa majesté imposa un financement totalement privé, ce qui aura pour effet de porter la dette du nouvel ensemble à 9 milliards d’Euros, car les prévisions, concernant le trafic futur, se révélèrent erronées. Et, les 750 000 petits porteurs, principalement français, en furent de leurs poches, car les premiers dividendes n’arrivèrent qu’en 2009. Il faudra aussi attendre 2011 pour que l’entreprise soit enfin bénéficiaire, et que Jacques Gournon, son président actuel, renégocie la dette avec près de 90 créanciers.
Aujourd’hui, outre les millions de voyageurs, ce sont près de 65 millions de véhicules qui se sont engouffrés dans le plus long tunnel sous-marin au monde, et en 2013, avec plus de 20 millions de voyageurs, Eurotunnel a franchi pour la 1ère fois le seuil du milliard d’Euros de chiffre d’affaires.
Donc, cet anniversaire arrive à point nommé, où après la restructuration définitive de sa dette, Eurotunnel est devenu aujourd’hui une entreprise viable et rentable puisque les actionnaires actuels voient régulièrement croître leurs dividendes (+ 25 % cette année, et + 50 % l’an passé). Son président disant même que Eurotunnel (www.eurotunnel.com) est désormais une entreprise normale.
Normal également aujourd’hui de prendre l’Eurostar pour aller travailler à Londres tout en habitant à paris. En effet, à 2 h 15 de la capitale française, Londres est presque devenue une excroissance de la banlieue parisienne. Pour les anglais par-contre, c’est plutôt pour leurs loisirs qu’ils franchissent la Manche, flâner dans les rues de Paris, skier dans les Alpes ou bronzer sur la côte méditerranée. On dit même qu’une génération Eurostar est née.
Toutefois, il serait judicieux de ne pas oublier l’importance économique. En effet, avec une large part des marchandises importés en Grande-Bretagne par des camions embarqués sur le « shuttle », l’un des rares succès dans le monde du ferroutage, la création il y a quelques années d’une filiale dédiée au fret ferroviaire, Europorte (www.europorte.com), dont le chiffre d’affaires a atteint cette année 240 millions d’Euros, permettra à Eurotunnel de se diversifier, et de voir enfin un avenir radieux au bout du tunnel.
Quant à savoir si l’Angleterre est toujours une île à part entière, il faudra certainement attendre plusieurs années, car demander à nos meilleurs ennemis mais néanmoins amis, d’abandonner leur côté insulaire, garant pour eux de sécurité, et trait plus que dominant de leur caractère , cela paraît aujourd’hui encore difficile. On verra. Rendez-vous pour le 30ème anniversaire.
Jacques Samela
Sources :
. Enjeux Les Echos / Mai 2014.
. Les Echos du 06 mai 2014.
. Le Figaro du 06 mai 2014.