Le rendez-vous de l'Europe : Quelques informations
Europe : des clés pour la souveraineté
le 21 août 2020 / Les Echos
L'Europe a fait le choix, historique, de la solidarité pour affronter la crise et financer la relance et la reconstruction. Alors que la pandémie a révélé nos dépendances en matière de produits, de matériaux critiques et dans certaines chaînes de valeurs, l'Europe doit désormais prendre en main ses intérêts stratégiques afin d'assurer une souveraineté, devenue nécessité commune.
Dans un monde où les rapports de force entre blocs se durcissent, la course à l'autonomie et à la puissance bat son plein. Face à la « guerre technologique » à laquelle se livrent les Etats-Unis et la Chine, l'Europe se doit de jeter, dès maintenant, les bases de sa souveraineté pour les 20 prochaines années. Il ne s'agit pas de céder à la tentation de l'isolement ou du repli sur soi, contraire à nos intérêts, à nos valeurs et notre culture. Il s'agit d'assumer des choix qui seront déterminants pour le futur de nos concitoyens en développant les technologies et les alternatives européennes sans lesquelles il n'existe ni autonomie ni souveraineté. Mobilisée autour de grands projets développés en partenariat, l'Europe a démontré par le passé qu'elle avait la capacité de jouer les premiers rôles sur la scène mondiale. Le temps est venu de reprendre l'initiative commune.
Au premier rang des grands enjeux figure notre souveraineté numérique qui repose sur trois piliers indissociables : puissance de calcul, maîtrise de nos données, connectivité sécurisée
Au premier rang des grands enjeux figure notre souveraineté numérique qui repose sur trois piliers indissociables : puissance de calcul, maîtrise de nos données, connectivité sécurisée. Tout d'abord, il convient d'accroître sans plus tarder la capacité de l'Europe à développer et produire les processeurs - y compris quantiques - les plus performants au monde. Ces composants micro-électroniques sont à la base de la plupart des chaînes de valeur clés pour l'avenir : voitures et objets connectés, tablettes et smartphones, supercalculateurs et edge computers, intelligence artificielle et défense. Dans le même ordre d'idée, il devient impératif de se doter de clouds européens autonomes garantissant à nos entreprises que leurs données industrielles ne seront soumises à aucune loi d'un pays tiers et seront protégées contre toute interférence cyber extérieure.
Enfin, en complément de nos réseaux haut débit et 5G, nous devons réfléchir à une constellation de satellites en orbite basse afin de fournir à tous les Européens, où qu'ils se trouvent sur le continent, une connectivité haut débit, d'en finir avec les zones blanches et de donner accès, en Europe, au niveau de sécurité offert par la cryptologique quantique spatiale. Une telle constellation compléterait utilement nos infrastructures souveraines Galileo pour la géolocalisation et Copernicus pour l'observation. De quoi renforcer l'Europe, deuxième puissance spatiale au monde.
L'Europe, via le Fonds européen de défense, vient d'accomplir un pas inédit et décisif
En matière de sécurité et de défense, renforcer l'autonomie technologique apparaît désormais incontournable. L'Europe, via le Fonds européen de défense, vient d'accomplir un pas inédit et décisif car il permettra d'organiser la coopération européenne dans des projets technologiques clés tels que les drones, l'avion de combat, le char européen, les capacités spatiales, la cybersécurité. La dernière proposition budgétaire nous permettra dans les sept ans à venir de générer entre 30 et 40 milliards d'euros d'investissements supplémentaires collectifs. Et de faire en sorte que chaque Etat membre se sente acteur des industries de défense et opère des choix cohérents d'équipements européens.
Faire de l'Europe l'épicentre de la « green tech »
Sur le marché intérieur, la souveraineté doit aussi se décliner sur le spectre des technologies vertes et faire de l'Europe l'épicentre de la « green tech ». Cela nécessite de renforcer nos chaînes de valeurs, de diversifier nos approvisionnements essentiels, voire de relocaliser certaines productions. Mais aussi d'accélérer le processus de décarbonation industrielle et de réduire nos dépendances énergétiques. Par exemple, en se donnant les moyens d'un leadership européen sur l'hydrogène propre. La production d'hydrogène par électrolyse est particulièrement consommatrice d'électricité. Elle s'appuiera sur nos énergies décarbonées (éoliennes, solaire) ou sur la disponibilité de notre parc d'énergie décarbonnée de transition (nucléaire, hydraulique).
L'Europe plus autonome, plus résiliente, porte une nouvelle ambition.
Avons-nous la volonté politique et les moyens de ces ambitions ? La réponse est oui ! Pour l'ensemble des programmes de souveraineté, c'est plus de 20 % d'augmentation par rapport au budget précédent et même 30 % après le départ du Royaume-Uni. Concernant la seule souveraineté numérique, le nouveau programme DigitalEurope permettra des investissements additionnels de plus de 20 milliards. Quant au programme CEF (Connecting Europe Facility), son volet numérique est pratiquement doublé. Outre que la Défense voit ses moyens décuplés, recherche et espace sont en légère augmentation. On pourrait toujours espérer plus. Le Parlement européen a du reste la possibilité d'en décider. Par ailleurs, les plans de relance nationaux pourront eux-mêmes accroître les moyens de financement de nos grands projets européens industriels et d'infrastructures. L'Europe solidaire et moins naïve est née de la crise. L'Europe plus autonome, plus résiliente, porte une nouvelle ambition. Nous y reviendrons.
Thierry Breton (Commissaire européen au Marché intérieur)
https://vipress.net/leurope-face-a-deux-defis-pour-simposer-dans-lembarque/