La Tour Eiffel, 129 ans et la vie devant elle
Jacques Samela. Bonjour, c’est donc à ma première entrevue à laquelle vous allez avoir droit, qui plus est avec un personnage français de renom, que tout le monde connait, voici donc pour vous, mes chères lectrices et mes chers lecteurs, La Tour Eiffel.
JS. Bonjour Madame, je me présente, Jacques, de Compétitivité In France.
La Tour Eiffel. Bonjour Jacques
JS. Au fait, comment doit-on vous appeler ? Madame, mademoiselle ?
LTE. Comme bon vous semble. La majorité des gens m’appelle tout simplement La Tour Eiffel, ou quelque fois la Dame de fer.
JS. D’accord, et je vais justement commencer par vous poser deux questions que l’on ne doit aucunement poser à une dame, soit votre âge et votre poids ?
LTE. C’est vrai, vous avez raison, mais comme vos lectrices et vos lecteurs sont en attente de cette information, je vais y répondre sans en prendre ombrage. Donc, si mes souvenirs ne me font pas défaut, les premières esquisses furent réalisées en 1884, par Maurice Koechlin et Emile Nauguier, employés de la société Eiffel & Cie, ensuite, le montage débuta au mois de juillet de 1887, mais mon acte de naissance démarre vraiment le 31 mars 1889, avec l’inauguration de l’Exposition Universelle. Quand à mon poids, je pèse près de 10 000 tonnes.
JS. Et votre taille ?
LTE. Je mesure près de 300 mètres, ce qui à l’époque me permit de devenir l’édifice le plus haut du monde, loin devant les pyramides d’Egypte, les flèches des plus hautes cathédrales, ou encore l’obélisque de la ville de Washington, qui lui culmine à 169 mètres. Aujourd’hui, c’est moi qui suis loin derrière, notamment la tour de Burj Khalifa à Dubaï, qui elle culmine à 828 mètres. Ce n’est donc plus ma taille qui en impose, mais plutôt ce que je représente comme symbole, mais on en reparlera certainement.
JS. On y reviendra effectivement, car j’aimerai tout d’abord connaître le vrai rôle de Gustave Eiffel (1832 – 1923) dans votre naissance ?
LTE. C’est vrai que j’ai son nom, mais au début, il n’était pas trop pour le projet initié par ses employés (voir plus haut), mais avec l’intervention d’un autre de ses employés, en l’occurrence, Stephen Sauvestre, architecte en chef des projets, il en devint rapidement le plus fervent supporter, avec comme idée de démontrer, durant cette exposition universelle, la croissance exponentielle de ce que l’on appellera par la suite, la révolution industrielle, dont il était également un fervent précurseur, cherchant justement à positionner La France comme la nouvelle puissance économique, face à ses principales concurrentes qu’étaient à l’époque l’Allemagne et la Grande-Bretagne.
JS. Et le résultat fût ?
LTE. Un succès, en tout cas durant l’exposition universelle, avec notamment près de 2 millions de visiteurs la première année, car par la suite, on passa à 1 million en 1900, et à moins de 300 000 dans les années 30. Il faut savoir aussi qu’à la clôture de l’exposition, j’aurai dû être détruite, comme l’ensemble des monuments érigés pour celle-ci. Mais grâce à Gustave Eiffel, qui eut l’idée d’organiser des expérimentations scientifiques comme la mise en place d’un pendule de Foucault, la mesure de la température atmosphérique, ou encore le calcul de la vitesse du vent, je fus donc sauvée de la dite destruction.
JS. Je pense que personne ne s’en plaint aujourd’hui, au contraire.
LTE. C’est vrai, et j’en suis ravie.
JS. Mais pour en revenir à votre nom, pourquoi avoir pris celui que l’on connaît, alors que Gustave Eiffel n’en est pas l’initiateur ?
LTE. C’est je crois après avoir racheté un brevet signé entre lui et ses trois employés qu’il décida de me baptiser ainsi.
JS. Ils ne lui en tinrent pas rigueur ?
LTF. Manifestement pas, ils obtinrent même la légion d’honneur pour leur participation à ma création.
JS. Pour en revenir justement à votre création, elle ne fut pas appréciée par tous manifestement ?
LTF. En effet, et je rejoins là mon concurrent mais néanmoins ami, le centre Beaubourg, qui lui aussi ne fut pas apprécié à ses débuts. En ce qui me concerne, on parlait de moi en ces termes, « cette tour vertigineusement ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, odieuse colonne de tôle boulonnée ».
JS. Quand on voit ce que vous représentez aujourd’hui à Paris ?
LTF. Eh oui, et les exemples ne sont pas rares, mon autre amie, la Pyramide du Louvres pourrait vous en raconter des vertes et des pas mures.
JS. C’est vrai, les exemples ne manquent pas. Sinon, pour en revenir à toutes ces années après votre sauvetage, que s’est-il passé ?
LTF. Eh bien, en octobre 1898, la 1ère liaison téléphonique entre moi et le Panthéon a été établie, suivie en 1907, de l’installation de la TSF (télégraphique sans fil), permettant une liaison jusqu’à Bizerte (Tunisie), et les USA en 1912. Ensuite, pendant la 1ère guerre mondiale, l’interception d’un radiogramme de la victoire allemande imminente, permit de déjouer l’attaque sur la Marne. En 1922, est inaugurée Radio Tour Eiffel, 1925 voit les balbutiements de la télévision en France, et en 1959, l’installation d’un nouveau mât de télédiffusion me permit de grandir de 20 m (320,75 m).
JS. Que d’aventures.
LTF. Oui, et encore celles-ci sont positives, car je ne sais si vous vous en souvenez, mais en 1912, un nommé Franz Reichelt, tailleur de profession, voulut tester un parachute de sa conception en se lançant du 1er étage, avec malheureusement une issue fatale. Et je préfère même oublier les autres évènements qui m’ont endeuillé. Trop nombreux pour moi.
JS. Effectivement, on parle de plus de 300 incidents ou accidents majeurs depuis votre naissance.
LTF. Effectivement vraiment trop pour moi. Heureusement, cela n’a pas été que mon lot quotidien.
JS. Non c’est vrai, et c’est même plutôt l’accueil de votre public votre lot quotidien.
LTF. Oui, toujours aussi nombreux chaque jour (20 000), avec près de 7 millions de visiteurs en 2016, dont 90 % de touristes étrangers, ce qui représente quand même presque 300 millions de visiteurs depuis mon inauguration. Pas mal en 129 ans d’existence, et avec les nouvelles directives de la SETE (Société d’exploitation de la Tour Eiffel), ce n’est pas près de se tarir.
JS. Surtout au vu des estimations concernant la croissance touristique en France et à Paris en particulier, considérée comme la reine mondiale du tourisme, et dont vous en représentez l’image de marque, estimée en valeur à près de 434 milliards d’Euros.
LTF. Oui, il paraît, je dois même m’attendre à accueillir des visiteurs en plus grands nombres, mais avec une meilleure fluidité cette fois-ci, car les files d’attentes, toujours plus longues, donnent plutôt une image de désorganisation. Cela fait justement parti des idées qui seront misent en place bientôt, en privilégiant notamment l’achat des billets en ligne, passant de 10 % aujourd’hui à près de 50 % à l’orée de la nouvelle saison d’été.
JS. Ce qui j’imagine aidera au mieux ceux qui vous épaulent 365 jours par an ?
LTF. Oui, notamment ceux qui sont chargés de l’accueil, le 1er contact entre les visiteurs et moi, mais sans oublier bien sur les autres, les électriciens, les soudeurs, les menuisiers, les peintres, les mécaniciens, enfin tous ceux qui font plus que le nécessaire pour assurer cette prestation tant appréciée de par le monde.
JS. Avec tous les 7 ans une toilette totale ?
LTF. Vous me faîtes rougir jeune homme, à mon âge, mais oui c’est vrai, tous les 7 ans j’ai droit à un lifting, ce qui représente quand même près de 60 tonnes de peinture, avec de temps en temps quelques changements quant à ma couleur, qui aujourd’hui est plutôt brun avec trois tons de dégradés, passant du plus foncé en bas au plus clair en haut, plus en harmonie avec le paysage parisien. A ma naissance, j’étais plutôt couleur « rouge Venise ».
JS. Loin de là mon idée, mais ce lifting sera donc accompagné d’un plan de modernisation de près de 300 millions d’Euros, dont 30 millions cette année pour la seule réalisation de la clôture anti-balles.
LTF. Eh oui, ma beauté associée à la sécurité de mes visiteurs. Bien obligée, car perçue comme le symbole de Paris, et donc de la France, le risque d’attirer le genre d’actions que nous avons vécus récemment, est plus que tentant.
JS. En espérant juste que cela ne dénature pas le site ?
LTF. On verra au moment de l’inauguration, mais je fais entièrement confiance à ma nourrice actuelle, la SETE.
JS. Cela sera donc l’occasion de vous revoir. Et c’est en prenant ce prochain rendez-vous avec vous, que je clôturerai cette entrevue, qui vous ne le savez peut-être pas, était ma première.
LTF. Si je comprends bien je deviens votre marraine dans cet exercice ?
JS. Oui, cela serait même avec plaisir.
LTF. Eh bien faisons comme cela, et j’espère avoir été à la hauteur de vos attentes, ainsi qu’à celles de vos lectrices et lecteurs ?
JS. Oui, je dirai même à hauteur de vos plus de 300 mètres. Merci à vous surtout, et à très bientôt.
LTF. Au revoir, et bon vent pour votre blog.
JS. Merci, et au revoir également.
Jacques Samela
Sources :
. Enjeux Les Echos / Décembre 2014
. Les Echos du 20/12/17
. Management / Décembre 2017
. Capital Hors-Série / Février – mars 2018