EasyMile VS Navya, ou l’autonomie à la française
Elles ont toutes les deux bénéficiées de la technicité et de l’innovation d’une société désormais disparue qui s’appelait Induct, considérée en son temps comme une pionnière dans son domaine, ce que l’on appelle aujourd’hui des solutions de mobilité intelligents et de technologie sans chauffeur, et première justement à avoir élaboré et mise sur le marché un véhicule autopiloté (autre appellation), appelé "Navia" (pour NAVIgation par Intelligence Artificielle), et dont la présentation au CES Las Vegas de 2014, fût couronnée d’un trophée dit du produit de l’année.
Mais paradoxalement, c’est aussi cette même année, après 10 ans de R&D, que la société fût liquidée. Comme quoi, il ne suffit pas d’avoir le meilleur produit pour réussir, il faut aussi arriver au bon moment.
Cependant, loin de disparaitre définitivement du paysage de la mobilité naissante, de ses cendres vont naitre deux nouveaux acteurs, français également, qui en héritiers dépassent désormais leur maître.
Alors, sans faire de préférence, comme d’habitude en fait, mais prenant acte de l’alphabet, je vais donc commencer ce sujet par la société EasyMile (www.easymile.com), créée par Gilbert Gagnaire, ingénieur informatique de formation, à l’origine de la création d’une société commercialisant des logiciels de gestion des risques et de la performance adoptés par des banques du monde entier, appelée Fermat, et dont le rachat par la société Moody’s (www.moodys.com) en 2008, lui rapporta dit-on la somme de 150 millions d’Euros.
Somme qu’il utilisera pour faire un break salutaire de 5 ans, avant de décider, un peu par obligation financière, mais aussi et surtout par envie, de revenir sur le devant de la scène entrepreneuriale, avec la prise en compte d’une suggestion émanant d’un ami sur l’idée d’investir dans une société, en difficulté donc, et dont la spécificité était d’élaborer des véhicules sans conducteurs.
N’y trouvant pas d’intérêt au premier abord, car ne connaissant pas du tout ce sujet, après réflexion, il se lancera malgré tout dans l'aventure, sentant finalement le potentiel de ce marché en devenir, se disant qu’avec sa formation et sa 1ère expérience d’entrepreneur, il se verrait bien créer la technologie nécessaire à l’automatisation des véhicules futurs.
Seulement, il ne se sentait pas de s’y lancer seul, et partit à la recherche d’un partenaire, fiable, capable de produire des véhicules à l’échelle industrielle. Ce fût le groupe Ligier (www.ligier.fr) qui répondit à ses attentes et à son idée, en tant que constructeur de voitures sans permis et d’utilitaires électriques, et pour ceux qui s’en souviennent, l’héritier de l’écurie de Formule 1, créée par Guy Ligier en 1976.
La collaboration scellée, EasyMile sera créée en 2014 à Toulouse, avec un an plus tard la finalisation de son 1e véhicule, baptisé "EZ10".
Minibus électrique bardé de radars, de capteurs, de caméras pouvant analyser en continue l’environnement à 360°, et pouvant transporter 15 personnes, il sera le 1er modèle développé au niveau 4 des standards de la conduite autonome, le 1er à recevoir l’autorisation européenne pour circuler sur une route publique sans conducteur à bord, ce qui sera fait à l’Oncopôle de Toulouse, entre le parking et l’entrée du site, soit 500 m (https://www.ladepeche.fr/2021/12/06/nous-avons-teste-la-navette-de-loncopole-sans-conducteur-9974121.php), et le 1er également à être certifié ISO 9001 (www.france-certification.com).
Et très rapidement, suscitant l’intérêt d’investisseurs, la société lèvera entre 2017 et 2018, 34 millions d’Euros, et en 2021, 55 millions d’Euros. De quoi voir venir.
Seulement voilà, confronté à des questions de coûts (malgré tout), de législation, et de sécurité, le déploiement massif de ses véhicules qu’escomptait son dirigeant, devrait mettre plus de temps que prévu, et ce malgré le fait que depuis l’élaboration de son prototype, aucuns accidents n’ont été à déplorer sur les 200 modèles vendus, dans près de 30 pays, parcourant même pour l’ensemble, plus d’un million de km, notamment au sein d’universités, de parcs d’activités, ou par des autorités municipales.
Donc, tout en attendant, avec conscience finalement, un nouveau regain d’intérêt pour ce mode de transport, un choix s’imposait, soit, de trouver d’autres pistes potentielles de développement, ce qui fût fait dès 2017, en développant un autre modèle, appelé lui "TractEasy", avec cette fois-ci l’entreprise française TLD (www.tld-group.com), leader mondial des véhicules dits de servitudes aéroportuaires, qui, étant toujours à traction électrique, sans chauffeur, et fonctionnant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, est utilisé aujourd’hui chez PSA à Sochaux, pour la gestion des chaines d’approvisionnements en pièces détachées, où à l’aéroport international Narita de Tokyo, pour l’acheminement des bagages.
Mais ce n’est pas tout, car depuis 2021, EasyMile a pris la tête d’un grand programme européen de 20 millions d’Euros sur 3 ans, appelé AWARD (All Weather Autonomous Real Logistics Operations and Demonstrations), visant là l’autonomisation des véhicules lourds pour le domaine de la logistique, avec pas moins de 29 partenaires représentant les principaux acteurs européens du secteur des véhicules utilitaires et spéciaux, tout en collaborant également avec le constructeur Iveco Bus, dans le cadre du projet de recherche STAR (Rapid Autonomous Transport Sytem), censé créer un autobus urbain autonome de 12 mètres, pouvant accueillir une centaine de passagers. Véhicule qui vient de passer une batterie de tests durant un an concernant la sécurité, sa sureté, son confort, et ce dans des conditions météorologiques de toutes sortes.
Donc, ce ne sont pas les projets qui manquent, lui permettant assurément de peaufiner encore plus ses projets d’avenir, afin qu’au final les freins à une généralisation de ce mode de transport puissent être levés.
Freins que tend également à faire lever la société Navya (www.navya.tech), concurrente, sœur jumelle, je ne sais, mais également créée à la liquidation de la société Induct (voir plus haut).
En effet, Christophe Sapet, cofondateur des sociétés Infogrames et Infonie, s’associera avec Bruno Bonnell, dans le cadre de son fonds d’investissement Robolution, il est aujourd’hui secrétaire général pour l’investissement FRANCE2030, pour créer une nouvelle structure appelée elle Navya, accueillant pour le coup une dizaine d’ingénieurs de l’ancienne.
Et leur première réalisation ne se fera pas attendre, car au bout d’un an, sera lancé leur premier véhicule autonome appelé « l’Arma », dont les premières expérimentations de mise en service seront effectives à Lyon en 2016 dans le quartier Confluence, et en 2017 à la Défense, malheureusement écourtée, connaissant pour le coup plusieurs difficultés.
Et pourtant, à sa première présentation à l’ITS World Congress de Bordeaux en 2015, il fût loin de passer inaperçu, avec notamment toutes ses spécificités les plus innovantes comme l’utilisation de Lidars (https://leddartech.com/fr/pourquoi-lidar/#:~:text=Le%20LiDAR%20est%20une%20m%C3%A9thode,sur%20des%20objets%20%C3%A0%20proximit%C3%A9.), de caméras stéréovision, de capteurs infra-rouge d’un système de navigation lui permettant de suivre un itinéraire dans un environnement pré-cartographié, distinguant tous types d’obstacles, fixes ou mobiles, et pouvant même interagire avec les passagers et son environnement extérieur à l’aide de moyens visuels ou sonores.
Mais cependant, loin de freiner la volonté de démontrer la faisabilité d’une utilisation pérenne de ses véhicules, Navya les rebaptisera du nom d’ « Autonom Shuttle » en 2017, avec la même année l’acquisition de plusieurs modèles par les Transports public genevois, en 2018, l’obtention d’un partenariat aux Emirats Arabes Unis, visant à étendre le réseau de mobilité de Masdar City, ou encore la mise en service pour tests en 2019 à Monaco, afin d’y effectuer le tour du Rocher.
Et 2020 semble avoir été l’année de tous les possibles, avec notamment un contrat estimé historique avec le groupe Keolis (https://navya.tech/fr/keolis-et-navya-franchissent-une-nouvelle-etape-dans-la-mobilite-autonome-avec-la-mise-en-circulation-de-leur-premiere-navette-sans-operateur-a-bord-a-chateauroux/), suivi du déploiement de plus de 160 de ses modèles dans 22 pays, dont le Japon, une première.
Depuis, et après avoir dépassé la commercialisation de plus de 200 navettes utilisées dans le monde entier, tout en continuant sur ses objectifs de développement, concernant notamment l'élaboration d'un tracteur à bagages autonome destiné au transport de biens, en collaboration avec le groupe Charlatte (www.charlattemanutention.fayat.com), considéré comme l’un des premiers constructeurs mondiaux de matériels de manutention à usage industriel et aéroportuaire, et l’élaboration d’ un bus autonome avec Bluebus (www.bluebus.fr), filiale du groupe Bolloré, il lui fallait malgré tout trouver dare-dare de quoi financer son passage à une échelle industrielle, consistant notamment à commercialiser sa technologie sur d’autres véhicules, objectif qu’il pourra même réaliser plus rapidement que prévu, après avoir signé récemment un contrat de prestation avec Muses Europe ( https://www.flotauto.com/navya-muses-utilitaires-electriques-autonomes-20220627.html) pour l’assemblage de 300 véhicules utilitaires électriques, assorti d’une participation future à des versions autonomes.
Et ce financement, effectif en juillet dernier, avec la signature d’un accord avec un fonds (Negma) installés à Dubaï, lui apportant 36 millions d’Euros, contribuera à renforcer sa trésorerie, mais surtout à soutenir son planning de développement technologique, portés notamment par ses près de 300 salariés, répartis entre la France, les Etats-Unis et Singapour.
De quoi donc voir venir sur un horizon d’au moins 12 mois, avant certainement d’envisager une nouvelle levée de fonds, accompagnant cette fois-ci ce désir de montée en puissance de la société, afin de répondre aux demandes de plus en plus pressantes et nombreuses concernant ses propres véhicules, autonomes bien sûr.
Effectivement pressantes, mais sur une utilisation encore restreinte, dans des lieux bien distincts et sécurisés au préalable, mais pas encore à l’échelle que nous connaissons aujourd’hui avec nos véhicules habituels, et ce même si depuis le 01 septembre 2022, les propriétaires de véhicules semi-autonomes peuvent circuler sur l’ensemble du réseau routier, mais seulement et seulement si leur moyen de transport bénéficies des capacités d’autonomie de niveau 3 (https://www.ornikar.com/code/cours/usagers/voitures-autonomes/actu-autorise-1er-septembre-france).
Et avant d’en arriver là, il risque quand même de se passer pas mal de temps, notamment pour des raisons de coûts, que ce soit en termes d’infrastructures dédiées, ainsi qu’en termes d’achats de ces futures véhicules, mais aussi pour des raisons d’ordres psychologiques, n’étant nous-mêmes pas encore prêts à se laisser guider sans en maitriser totalement la conduite.
Et il vrai aussi qu’en ce moment c’est l’électrique qui prends toute la place, avec également l’hydrogène.
Mais bon, avec ces deux acteurs, et un positionnement plus que favorable pour la France (https://www.ornikar.com/code/cours/usagers/voitures-autonomes/actu-top3-pays-phase-developpement), notre pays est plus que prêt pour la prochaine étape, il suffit juste d’attendre un peu.
Et sachant qu’aujourd’hui tout peut aller très vite, ils seront fin prêts.
Jacques Samela
Sources :
1/ EasyMile
2/ Navya
. https://pro.largus.fr/actualites/navya-la-start-up-qui-a-su-vite-rencontrer-son-marche-10266390.html
. https://www.mingzi.fr/mingzi-actualites/reussite-tricolore-navya/
. https://fr.wikipedia.org/wiki/Navya
. https://journalauto.com/constructeurs/navya-leve-36-millions-deuros/
A lire :
. https://vipress.net/navya-vend-8-navettes-autonomes-aux-etats-unis/
. https://www.mobilitesmagazine.com/post/navya-et-bluebus-automatisent-des-bus-it3
. https://www.mobilitesmagazine.com/actualites/tags/navette-autonome