Rejet du CETA par le Sénat : opportunisme politique ou triomphe du dogmatisme ?
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Le 26 mars 2024
OPINION. Le refus du Sénat français d'adopter le projet de loi portant ratification de l'Accord économique et commercial global (CETA) conclu entre l'Union européenne et le Canada témoigne d'un certain dilettantisme de la classe politique française actuelle. Par Antoine Comont, chercheur en droit international économique (*).
Le 21 mars 2024, après que les sénateurs communistes aient profité de leur niche parlementaire pour inscrire à l'ordre du jour de la Chambre haute le projet de loi portant ratification du CETA, les sénateurs ont très largement rejeté cet accord commercial pourtant en application provisoire depuis le 21 septembre 2017.
Avec un paysage politique encore marqué par les manifestations agricoles du mois de février, il faut souligner que le Momentum choisi par les sénateurs communistes n'est pas anodin. Cependant, il devient impossible de cacher l'incompétence et le dogmatisme dont ont fait preuve les sénateurs de gauche comme de droite.
La genèse du CETA
Le rejet de l'accord par Les Républicains a de quoi surprendre. Si le Président du groupe LR au sénat Bruno Retailleau s'est d'ores et déjà félicité de ce vote, il convient de rappeler que le CETA n'aurait jamais été conclu ni même négocié, si l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy n'en avait pas été à l'origine.
Sous l'impulsion de la France et du Québec, les discussions sur le CETA ont débuté en 2008 après l'échec de plusieurs tentatives de négociations. Il est difficile de croire alors que Bruno Retailleau, membre du comité de campagne de Nicolas Sarkozy pour l'élection de 2012, « chargé de la compétitivité et des PME » était opposé à cet accord dont il convient de souligner l'approche novatrice sur la question de l'inclusivité des PME dans les échanges commerciaux internationaux.
Le CETA et la question agricole
Force est de reconnaître que l'un des objectifs majeurs du Canada dans ces négociations était d'obtenir un accès préférentiel au marché européen en particulier pour les produits agricoles qui bénéficiaient encore de droits de douane importants ou de contingents tarifaires (quotas).
Pour rappel, l'UE accorde dans le cadre de l'OMC, des quotas ou volume de produits qui peuvent être exporter en Europe avec des droits de douane moindres. Dès que ces quotas sont dépassés, les droits de douane augmentent considérablement de sorte à priver ces exportations de tout intérêt économique. Dans le cadre de l'AECG, l'UE s'est engagée à augmenter ses quotas pour le Canada notamment sur certains produits comme le bœuf, le porc ou la volaille. Ces quotas ont augmenté progressivement depuis le 27 septembre 2017 et il est prévu justement que la période de transition s'achève à la fin de l'année 2024.
- La psychose infondée d'un marché européen envahi de bœufs canadiens hormonés
Depuis les années 1990, l'UE et les pays d'Amérique du Nord (Canada et États-Unis) en première ligne sont impliqués dans un différend concernant le commerce de viande hormonée que l'UE a prohibé. La situation s'est figée en 1998 quand l'UE a consenti l'augmentation des quotas de viandes non hormonées au profit du Canada et des États-Unis pour compenser les effets de l'interdiction de la commercialisation de la viande hormonée. Cette interdiction est toujours applicable et la conclusion du CETA n'a pas été de nature à remettre en cause cette mesure. Il est ainsi tout simplement inexact de croire que le marché européen serait susceptible d'être envahi par des viandes traitées aux hormones dès lors que ces dernières sont interdites depuis 1998.
- La sous-utilisation des quotas par le Canada
Les données économiques ne mentent pas. Alors que le taux d'utilisation des quotas de produits agricoles par l'UE avoisine les 100%, le Canada regrette le fait que ses producteurs n'exploitent que très peu les quotas accordés par l'UE, en particulier sur les produits agricoles. Cette sous-utilisation s'explique par le fait que les producteurs canadiens ne parviennent pas à se mettre en conformité avec les règles sanitaires, phytosanitaires et environnementales européennes.
Si l'on admet que ces exigences requièrent des investissements importants, les perspectives économiques que leur offre le marché européen ne sont certainement pas suffisantes pour que les producteurs canadiens aient un véritable intérêt à se mettre en conformité avec ces dernières. Force est alors de constater que les producteurs agricoles canadiens ont pour l'instant renoncé à utiliser les quotas attribués par l'UE. Encore une fois, la perspective d'une concurrence déloyale où des exportations canadiennes viendraient asphyxier nos producteurs européens semble décidément bien loin.
- L'incongruité de l'argument relatif à l'absence de contrôle aux frontières
Depuis les manifestations agricoles de février, l'argument selon lequel les produits importés ne seraient pas soumis aux normes sanitaires, phytosanitaires et environnementales qui pèsent pourtant sur les producteurs européens est omniprésent. C'est incontestablement un signe de mauvaise foi ou preuve du dogmatisme qui gouverne les détracteurs de ces accords de libre-échange. Comment est-il possible de croire que les États européens sont suffisamment crédules pour autoriser l'importation de produits, notamment agricoles, sans que ces derniers soient conformes aux standards de production européens ? Premièrement, il convient d'admettre qu'indépendamment des normes applicables dans l'État d'origine, les producteurs étrangers peuvent prendre l'initiative de se conformer aux normes européennes afin de pénétrer le marché intérieur. Deuxièmement, il ne faut pas oublier que les autorités douanières des États membres ont pour mission de contrôler la qualité des produits importés.
Si l'essentiel des normes peut faire l'objet d'un contrôle en douane, certaines peuvent nécessiter un contrôle avant expédition voire un contrôle du site de production en tant que tel. Même si des mécanismes de facilitation des échanges et de coopération douanière existent, un des objectifs du CETA était justement de pouvoir permettre aux autorités européennes d'aller conduire des contrôles au Canada afin d'assurer l'effectivité de ses normes sanitaires, phytosanitaires ou environnementales. Il est ainsi contradictoire et contreproductif de contester cet accord sur la simple croyance qu'il facilitera l'importation de produits canadiens incompatibles avec les normes européennes.
Un accord qui se voulait soucieux de son impact environnemental
Tout comme « il ne faut pas se faire plus royaliste que le roi » (La Monarchie selon la Charte (1816), François René de Chateaubriand) le CETA ne saurait être défini comme un modèle de vertu pour l'environnement. S'il est évident que le commerce international participe très largement à la production de gaz à effet de serre mondiale, il est aussi possible de considérer que le libre-échange peut avoir un impact positif sur la transition énergétique (gestion durable des biens publics mondiaux, transferts de technologies vertes à destination des pays en développement, investissements internationaux pour le développement durable...).
Le CETA avait d'ailleurs le mérite d'apporter une approche innovante sur la conciliation entre commerce et environnement. S'il a permis l'intensification de discussions bilatérales sur divers sujets (accord sur l'hydrogène vert, accord sur la gestion des ressources en haute mer, mise en place des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières...), force est de reconnaître à l'instar des sénateurs socialistes que les résultats sont pour l'instant décevants. En revanche, il n'a jamais non plus permis de contester les mesures environnementales prises par l'une ou l'autre des parties, le droit des États à réguler reconnu dans plusieurs dispositions. L'apport de cet accord à la protection de l'environnement reste somme toute relatif. À défaut de meilleurs accords, il est certainement l'un des moins mauvais de tous.
et les conséquences d'un potentiel rejet
Ce texte adopté de justesse en 2019 par l'Assemblée nationale devra donc retourner devant cette dernière afin d'être voté de nouveau en seconde lecture. Compte tenu de la majorité relative du gouvernement à l'Assemblée nationale, un rejet définitif du projet de loi portant ratification du CETA par les députés est de plus en plus probable. Lors de la signature du CETA, le Conseil de l'UE avait adopté une décision visant à prévoir la dénonciation l'application provisoire du CETA par la Commission dans l'éventualité où un État lui notifie son « impossibilité de procéder à la ratification de l'accord ». Pour rappel, le Parlement chypriote a déjà formellement rejeté le CETA depuis le 18 août 2020, mais le Président de Chypre s'est abstenu de notifier à la Commission le refus de son Parlement.
L'hypothèse du rejet de l'accord par le Parlement français ravive les questions juridiques et politiques qui étaient demeurées en suspens après la signature du CETA. Les modalités dans lesquelles la dénonciation de l'accord au Canada devrait intervenir sont particulièrement obscures et imprécises, notamment parce que l'UE n'a jamais été confrontée à cette difficulté. Une chose est certaine en revanche, le chemin politique du CETA vers l'entrée en vigueur définitive s'annonçait déjà semé d'embûches, il en est encore pourtant qu'au début de ses péripéties et de nombreux rebondissements sont attendus de Paris à Bruxelles en passant par Nicosie ou Namur.
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(*) Chercheur associé à la Chaire de recherche sur les nouveaux enjeux de la mondialisation économique (Université Laval) et au Centre de recherche et documentation européennes et internationales (Université de Bordeaux). Chargé d'enseignement en droit international, droit européen et droit public.
Vu et lu dans Les Echos du 12/03/24
Agroalimentaire : les accords de libre-échange bénéficient aux exportateurs, selon la Commission européenne
https://www.lemoci.com/agroalimentaire-les-accords-de-libre-echange-beneficient-aux-exportateurs-selon-la-commission-europeenne/
Le 28/02/24
Accusés de tous les maux par les agriculteurs européens, les traités de libre-échange conclus par l’Union européenne (UE) constituent pourtant autant d’opportunités à l’international pour Bruxelles. Selon un rapport de la Commission européenne, la mise en œuvre des accords récemment conclus ou en cours de négociation devrait rapporter 4,4 milliards d’euros supplémentaires à l’horizon 2032.
Ils font couler beaucoup d’encre et de salive en ces temps de gronde parmi les agriculteurs, mais quel est l’impact réel des accords de libre-échange sur la balance commerciale de l’Union européenne en matière agroalimentaire. Cette dernière croule-t-elle sous les importations en provenance de pays concurrents ? Ces traités proposent-ils vraiment des débouchés aux agriculteurs du Vieux continent ?
Telles sont, notamment, les questions auxquelles tente de répondre une récente étude du Centre commun de recherche de la Commission. Cette dernière évalue l’incidence potentielle de dix accords de libre-échange, récemment conclus ou en cours de négociation (voir la liste ci-après).
*L’étude de la Commission porte sur les accords avec l’Australie, le Chili, l’Inde, l’Indonésie, la Malaisie, le Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay), le Mexique, la Nouvelle-Zélande, les Philippines et la Thaïlande.
Selon les calculs de la Commission, leur entrée en vigueur entrainerait une augmentation des exportations agroalimentaires comprise entre 3,1 et 4,4 milliards d’euros (EUR) d‘ici à 2032. Ces traités offriraient de nouvelles perspectives commerciales aux produits laitiers avec des ventes internationales en hausse de 780 millions d’euros (M EUR), au vin et autres boissons (+ 654 M EUR) ainsi qu’aux produits agroalimentaires transformés.
Une concurrence accrue des partenaires dans la viande, le riz et le sucre
Du côté des importations, la hausse de leur valeur serait comprise entre 3,1 et 4,1 Md EUR. Cette augmentation a priori équilibrée des flux commerciaux devrait permettre une légère augmentation de la balance commerciale globale de l’UE.
L’étude reconnaît en revanche que les secteurs de la viande bovine, la viande ovine, la volaille, le riz et le sucre auront à faire face à une concurrence accrue de la part des dix partenaires avec lesquels Bruxelles a conclu des accords de libre-échange. Sauf que pour la Commission, il s’agit là d’un argument de plus en faveur de ce type d’accord car selon elle, cela « valide l’approche actuelle de l’UE consistant à protéger systématiquement les secteurs sensibles au moyen de contingents tarifaires soigneusement calibrés ».
Par ailleurs, les accords conclus par le Royaume-Uni avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les pays membres de l’accord global et progressiste pour le partenariat transpacifique (CPTPP) permettront à ces partenaires commerciaux de prendre des parts de marché aux producteurs européens sur le marché britannique. La concurrence se ferait particulièrement sentir dans la viande bovine, le vin, les produits transformés, les produits laitiers et la viande ovine. L’étude précise toutefois que le recul des parts de marché européennes sur le marché britannique serait compensé par l’incidence positive des 10 accords commerciaux étudiés.
Le précédent du CETA
Ces derniers représentent une faible part de marché des exportations agroalimentaires européennes (6,6 % soit 12,6 Md EUR) à l’horizon 2032, Australie en tête, suivie par les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay), les Philippines et le Mexique. Environ 10 % des exportations de produits laitiers de l’UE sont expédiés vers les 10 partenaires des ALE. Pour la plupart des autres catégories de produits, ce pourcentage se situe entre 5 % et 9 %.
Enfin, alors qu’il avait donné lieu à des débats houleux avant l’entrée en vigueur de son volet commercial en 2017, le CETA (Comprehensive Economic Trade Agreement) affiche un bilan positif selon une récente déclaration du comité mixte UE-Canada, l’instance qui sert de cadre à la poursuite des négociations entre les deux pays sur le traité. Le commerce bilatéral entre l’UE et le Canada a crû de 50 %.
L’an dernier, le cinquième rapport du comité français de suivi des filières agricoles sensibles sur cet accord de libre-échange UE-Canada soulignait que le déferlement de viandes bovines sur le marché européen n’a pas eu lieu. En revanche, en cinq ans, les exportations agricoles françaises ont bondi de 36,8 % alors que les exportations canadiennes des principaux produits agricoles sensibles vers la France restaient limitées voire nulles.
Sophie Creusillet
https://www.batiactu.com/edito/economie-ce-que-pensent-entreprises-francaises-politiques-68119.php?MD5email=8843226679e17408c0597aaee1b4b186&utm_source=news_actu&utm_medium=edito&utm_content=article
Vu et lu dans Les Echos du 26/02/24
Vu et lu dans Les Echos du 26/02/24
Agroalimentaire : l’Union européenne a enregistré un excédent commercial record en 2023
https://www.lemoci.com/agroalimentaire-lunion-europeenne-a-enregistre-un-excedent-commercial-record-en-2023/
Par sophie.creusillet@lemoci.com
Dans le sillage de 2022, les produits agricoles et agroalimentaires de l’Union européenne (UE) ont réalisé l’an dernier de bonnes performances à l’international avec une balance commerciale excédentaire de plus de 70 milliards d’euros, un niveau record.
Premier négociant de produits agroalimentaires au monde, l’UE a exporté en 2023 pour 228,6 milliards d’euros (Md EUR), selon les dernières statistiques publiées par la Commission, tandis que ses importations se sont élevées à 158,6 Md EUR. A +70,1 Md EUR, son solde commercial a progressé de 12,8 Md EUR, soit 22 %.
Cette bonne performance s’explique essentiellement par le maintien des prix élevés des produits exportés alors que ceux des importations se sont orientés à la baisse. A l’import, l’UE continue d’enregistrer un déficit commercial dans certaines catégories de produits telles que les oléagineux et les protéagineux, les fruits et noix, le café, le thé, le cacao et les épices.
Forte hausse des exportations à destination de l’Ukraine
Premier client de l’agriculture et de l’agroalimentaire européens, le Royaume-Uni représente 22 % de ses exportations, soit 51,3 Mds EUR. Les Etats-Unis restent la deuxième destination, même si les exportations de l’UE y ont légèrement diminué, en particulier pour les spiritueux et les liqueurs. La Chine arrive en troisième position, absorbant 6 % de la valeur totale des exportations. Toutefois, celles de viande porcine y ont diminué de 29 % en 2023. Les ventes à la Turquie ont augmenté de 7 % et celles à l’Ukraine de 18 %.
Les préparations céréalières, les produits laitiers et le vin constituent toujours les trois piliers des ventes à l’international mais ne représentent « que » 30 % du total des exportations de produits agroalimentaires de l’UE, signe de leur diversité.
Les exportations de préparations de fruits, de noix et de légumes ont enregistré la plus forte augmentation de valeur en 2023, avec + 1,3 Md EUR (+ 12 %) par rapport à 2022. Elle est suivie par les exportations de préparations céréalières et de produits de mouture (+ 1,2 Md EUR, + 5 %) et de confiserie et chocolat (+ 1,2 Md EUR, + 12 %).
Des importations en baisse de 7 % en valeur
Conséquence de l’évolution de l’évolution des prix des produits importés, en 2023, les importations agroalimentaires ont fléchi de 7 %, atteignant 158,6 Md EUR. Le Brésil est resté le premier fournisseur avec 11 % du total des importations agroalimentaires européennes, suivi par le Royaume-Uni et l’Ukraine, qui fournit 7 % des importations, soit 11,8 Md EUR.
L’évolution des importations en provenance d’Ukraine en 2023 a été contrastée entre les produits, mais dans l’ensemble, le niveau des importations est revenu au niveau de 2021 vers la fin de l’année.
Augmentation des importations de légumes
Dans l’ensemble, les trois principales origines des importations de l’UE représentaient 28 % du total des importations, tandis que l’UE a importé 1 Md EUR ou plus depuis 30 pays. Parmi eux, on note les fortes hausses des achats à la Turquie (18 %) et l’Egypte (41 %). A contrario, les importations en provenance d’Argentine, de Chine et d’Indonésie ont dévissé de respectivement – 33 %, – 15 % et – 19 %.
En 2023, l’UE a continué d’importer principalement trois catégories de produits représentant 40 % du total des importations agroalimentaires de l’UE : « fruits et noix », « graines oléagineuses et protéagineuses » et « café, thé, cacao et épices ». Ces catégories représentent entre 21 et 22 Md EUR, soit 13 % à 14 % des importations de l’UE. Les hausses les plus importantes de la valeur des importations en 2023 ont concerné les produits du tabac (+ 27 %) et les légumes (+ 16 %).
Alors qu’une gronde des agriculteurs a récemment traversé l’Europe, ces données montrent que l’UE est toujours la plus grande puissance agricole au monde.
Vu et lu dans Les Echos du 26/03/24
La baisse de l’inflation dans la zone euro défie les prévisions, alimentant les espoirs d’une baisse des taux
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Le 03 avr. 2024
L’inflation dans la zone euro a dépassé les attentes des analystes mercredi (3 avril), avec des prix affichés qui sont retombés à leur niveau le plus bas depuis trois ans et l’inflation sous-jacente qui était au plus bas depuis deux ans en mars, renforçant les espoirs de réduction des taux avant la réunion de la Banque centrale européenne (BCE) la semaine prochaine.
Dans une estimation rapide publiée mercredi (3 avril), l’office statistique de l’UE, Eurostat, a indiqué que le taux d’inflation de la zone euro était passé de 2,6 % en février à 2,4 % en mars, soit le taux le plus bas enregistré depuis juillet 2021, à l’exception du taux de novembre 2023, qui s’élevait également à 2,4 %.
La semaine dernière, les économistes interrogés par Reuters s’attendaient à ce que l’inflation reste à 2,6 %.
L’inflation sous-jacente, qui fournit une meilleure estimation des pressions sous-jacentes sur les prix en excluant les prix volatils de l’alimentation et de l’énergie, a diminué de 0,2 % pour atteindre 2,9 %, soit la huitième baisse mensuelle consécutive et le taux sous-jacent le plus bas enregistré depuis février 2022.
Ces données interviennent alors que les quatre plus grandes économies de l’UE – l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne – ont enregistré des taux d’inflation inférieurs aux prévisions pour le mois de mars au cours de la semaine écoulée.
Carsten Brzeski, économiste en chef de la zone euro chez ING, a suggéré que les données pourraient être interprétées comme « une victoire très tardive pour l’équipe temporaire » – une référence aux économistes qui considèrent l’inflation élevée de la zone euro comme un phénomène temporaire, plutôt que permanent.
« Je pense que c’est une bonne chose pour la BCE », a déclaré M. Brzeski à Euractiv. « Il semble que l’inflation soit en train de s’estomper ».
La BCE a relevé ses taux à dix reprises consécutives entre juillet 2022 et septembre 2023 après la flambée des prix qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, faisant passer son taux directeur d’un niveau négatif de 0,5 % à un niveau record de 4 %.
La Banque centrale a maintenu les taux d’intérêt à 4 % lors de ses quatre réunions précédentes, alors que l’inflation se rapprochait du taux cible de 2 % de la BCE après avoir atteint un pic de 10,6 % en octobre 2022.
Réduire ou ne pas réduire les taux ?
Malgré la forte baisse des pressions inflationnistes, les analystes s’attendent généralement à ce que la BCE maintienne ses taux à leur niveau record actuel lors de sa réunion de jeudi (11 avril).
En effet, les 77 économistes interrogés par Reuters la semaine dernière ont tous prédit que la BCE maintiendrait ses taux la semaine prochaine. Toutefois, 88 % des personnes interrogées s’attendent à ce que la BCE réduise ses taux en juin.
Ces projections ont été corroborées à plusieurs reprises ces derniers mois par les responsables de la BCE, qui soutiennent que la banque devrait attendre que les données sur les négociations salariales soient publiées en mai avant d’abaisser les taux.
L’inflation de la zone euro au niveau le plus bas depuis 2 ans
En février, le taux d’inflation sous-jacente de la zone euro est tombé à son niveau le plus bas depuis près de deux ans, renforçant l’espoir que la crise de l’inflation en Europe se soit définitivement apaisée et que la Banque centrale européenne réduise enfin ses taux d’intérêt dans le courant de l’année.
« Il serait surprenant que la BCE réduise ses taux dès le mois d’avril », a confié à Euractiv Sander Tordoir, analyste principal au Centre for European Reform (CER).
« Le Conseil des gouverneurs [l’organe de la BCE qui fixe les taux] a clairement indiqué qu’il voulait attendre les données sur les salaires du mois de mai », a-t-il souligné.
Selon l’analyste, « le souci de se prémunir contre une ré-accélération de l’inflation dominera probablement toute publication de données indiquant une accélération de la désinflation ».
M. Brzeski a fait remarquer que la BCE pourrait envisager de « d’annoncer à l’avance » une baisse des taux, comme elle l’avait fait en juin 2022, lorsqu’elle avait déclaré qu’elle commencerait à relever ses taux le mois suivant.
« Je pense qu’aujourd’hui, avec les données qui arrivent, la BCE sera sous pression », a-t-il déclaré. « Donc [annoncer à l’avance] pourrait être un bon moyen de s’en sortir ».
Deux mois « ne feront pas la différence »
La politique monétaire restrictive de la BCE a fait l’objet de critiques croissantes au cours des derniers mois, de nombreux experts estimant que l’incapacité de la banque à réduire ses taux exacerbe les performances économiques médiocres de la zone euro.
Lors de sa réunion du mois dernier, la BCE a ramené de 0,8 % à 0,6 % ses prévisions de croissance de la zone euro pour 2024.
Cinq des principaux instituts de recherche économique allemands ont également revu à la baisse les prévisions de croissance du pays pour 2024, les ramenant de 1,3 % à seulement 0,1 %, décrivant l’économie allemande – la plus importante de la zone euro – comme étant « malade ».
Lors d’un événement organisé par le CER à Bruxelles la semaine dernière, Jeromin Zettelmeyer, directeur du think tank Bruegel, a souligné que la BCE disposait déjà de données montrant que la croissance des salaires dans la zone euro avait chuté au cours du dernier trimestre de l’année dernière.
Il a également noté que la décision de la BCE d’attendre « un deuxième point de données » sur les salaires au premier trimestre de cette année reflète un « biais conservateur » qui engendre des risques de « stagnation séculaire » – ou une faible croissance permanente – dans la zone euro.
Carsten Brzeski, d’ING, a toutefois émis des réserves quant à l’analyse de M. Zettelmeyer.
« Je pense qu’une bonne politique monétaire ne repose pas sur une seule observation de données », a déclaré M. Brzeski. « Tirer toute une tendance d’une seule observation est un peu tiré par les cheveux ».
Que les taux soient réduits en avril ou en juin ne fera pas la « différence entre une croissance vigoureuse et une stagnation », a-t-il ajouté.
« La BCE ne peut pas se permettre de se tromper », a souligné M. Brzeski. « Elle n’a qu’une seule mission, celle de faire baisser l’inflation ».
Vu et lu dans L'Echo (Belgique) du 15/05/14